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Qu’est-ce que la démocratie ?


Publié le 31 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.

De Nietzsche, qui considérait que la démocratie était la cristallisation de l’état individualiste de la société, à Pierre Rosanvallon qui pense que la démocratie se doit de donner une voix à chacun au présent et pas tous les cinq ans, en passant par la célèbre déclaration de Churchill la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres” ; la démocratie est un système politique qui n’a cessé d’être (re)défini depuis son invention et son application.

Au-delà d’une approche historique de la démocratie, cet article a pour ambition de retracer les différentes conceptions et pratiques qui la caractérisent, et de défendre son modèle face aux défis auxquels elle est confrontée.

 

La Genèse de la démocratie

On attribue les origines de la démocratie à l’expérience politique grecque, et plus particulièrement athénienne, aux alentours du VIe siècle avant JC. Sa définition étymologique associe le peuple, le demos, et le pouvoir, le kratien. Si on applique cette étymologie à une compréhension actuelle, cela signifie le gouvernement du peuple par lui-même, c’est-à-dire ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie directe.

Concrètement, à cette époque, il s’agissait de la participation d’une proportion de citoyens tirée au sort pour gouvernement la cité (excepté les femmes, les métèques, les esclaves et les enfants), réunis régulièrement en assemblée sur la place publique (l’agora), pour délibérer des affaires de la cité et choisir les magistrats. Un tel modèle était fondé sur la croyance que le grand nombre était capable de participer efficacement aux affaires publiques – bien que conseillé par des experts – et apte à être à la fois gouverné et gouvernant via un système de rotation régulier pour éviter la concentration du pouvoir. L’équilibre des échelons de ce système était garanti par l’isonomia, c’est-à-dire le partage égal de citoyenneté (par exemple, devant la loi), et par l’isegoria, c’est-à-dire la liberté de chacun à prendre la parole en assemblée. Cela a depuis inspiré les contours, l’usage politique et les principes juridiques des démocraties.

 

Les différents types de démocratie

 

La démocratie par tirage au sort

C’est un type de démocratie dans lequel les membres des assemblées (tels que l’actuel Sénat ou Assemblée Nationale) sont tirés au sort. Il s’agit d’un système hérité de la Grèce antique, censé maximiser les chances de représentation et éviter la corruption. En France, des exemples comparables pourraient être la Convention citoyenne pour le climat de 2019, composée de 150 citoyens tirés au sort, et la Convention citoyenne sur la fin de vie de 2022, composée de 184 citoyens tirés au sort. À l’étranger, l’Islande a connu une expérience similaire avec le “forum national” pour réviser la constitution irlandaise, qui a rassemblé 950 citoyens tirés au sort pour proposer des révisions constitutionnelles à un comité élu.

La démocratie participative

Il s’agit d’un ensemble de mécanismes dont l’objectif est d’intégrer les citoyens aux décisions politiques. Cela se manifeste, par exemple, par leur consultation en dehors des temps d’élections et par leur prise de décisions en collaboration avec les élus. En dehors des quelques conventions citoyennes à l’échelle nationale, il s’agit d’un système plutôt utilisé localement (villes), comme la participation à des conseils de quartier et aux budgets participatifs.

La démocratie directe

Il s’agit d’un système au sein duquel tous les citoyens en âge de voter peuvent, selon certaines conditions, proposer, voter ou réviser des lois sans passer par des organes ou des élus. C’est le cas de la Suisse depuis 1848 par exemple, où les citoyens peuvent utiliser l’initiative populaire, le référendum facultatif et le référendum obligatoire pour se prononcer sur des lois/ décisions du Parlement fédéral et modifier leur constitution.

La démocratie semi-directe

La démocratie semi-directe est une démocratie dans laquelle les citoyens peuvent accéder à des procédures de démocratie directe (référendum, initiative, veto sur les lois votées par le Parlement, rappel des élus), sans pour autant exclure l’existence des élus et des institutions. Les citoyens sont ainsi mandatés sur des questions ou lois précises et n’ont pas simplement vocation à consultation. Beaucoup de démocraties représentatives ont intégré ces dispositions, telles que l’Italie, la France ou certains États des États-Unis.

La démocratie indirecte ou représentative

Ce système est établi sur Ia représentation comme moyen  pour les citoyens d’exercer leur voix. Les citoyens élisent régulièrement et à la majorité leurs représentants, qui sont ensuite chargés des affaires publiques. Les élections régulières permettent de limiter le mandat des élus afin d’éviter une trop grande concentration de pouvoir et d’être en mesure de changer de représentants. Aujourd’hui, la plupart des démocraties fonctionnent via ce système, avec des spécificités nationales.

 

Définir la démocratie

Définir strictement la démocratie relève d’une mission assez périlleuse. Par exemple, lorsqu’on recherche « démocratie » sur Google France, la première définition affichée est celle du Robert : elle serait une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple”.

Une définition un peu plus précise apparaît à la première page, proposée par le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : la démocratie est un “régime politique et un système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens”, avec le complément “démocratie autoritaire, directe, libérale, parlementaire, représentative”.

Cette seconde définition a le mérite d’élargir le champ de la démocratie à son idéal, ses principes et ses formes d’expression ; toutefois, il est important de préciser que la définition française de la démocratie, de même que les valeurs culturelles et politiques qu’elle porte, sont distinguables, dans une certaine mesure, d’autres définitions propres aux divers États démocratiques. Par exemple, selon le Colins English Dictionary, la démocratie est “un système de gouvernement dans lequel les individus choisissent leur chef d’État en votant pour eux aux élections”. Nous pouvons remarquer que cette définition réduit la démocratie à sa dimension représentative et électorale, et qu’elle fait notamment l’impasse des non-votants et des États dans lesquels les élections ne sont pas forcément gratuites ni justes.

 

La démocratie à travers le monde

La démocratie, même s’il s’agit d’une valeur universelle, n’a pas la même définition selon les critères de ceux qui la définissent.

Dans le courant de cette idée, un indice global de démocratie, censé déterminer le degré de “démocratie réelle” a été établi depuis 2006 par l’organisme The Economist Intelligence Unit. Il se base sur les critères suivants : les libertés civiques, le fonctionnement du gouvernement, le processus électoral et le pluralisme, la participation politique, et la culture politique des populations. Selon cette définition, seulement 24 des 76 démocraties proclamées seraient des “démocraties complètes”, les autres allant de “démocraties défaillantes” aux “régimes autoritaires”. Dès lors, certains États qui se proclameraient démocratiques (hors exceptions évidentes telles que “République Démocratique de Corée du Nord) n’en seraient pas forcément, ce qui pose la question de la définition à privilégier.

 

La démocratie à travers les époques

La définition de la démocratie varie beaucoup selon les lieux, mais aussi selon les époques. Platon a, par exemple, une conception anarchique de la démocratie : le peuple serait en confrontation permanente, incapable de sagesse et facilement manipulable, ce qui laisserait le champ libre aux sophistes (démagogues) et aux tyrans. Selon, lui, seuls les philosophes auraient la sagesse requise pour gouverner. A contrario et conformément à la théorie de Socrate, Condorcet considère que, lorsque les citoyens seront éclairés, l’agrégation de leurs savoirs permettra d’aboutir à la meilleure décision.

Les philosophes des Lumières, dont les travaux constituent un socle important de pensée sur ce sujet, proposent également différentes théorisations de la démocratie. Rousseau, dans son Contrat social, avance la thèse que la démocratie est la remise des “clés” du gouvernement entre les mains du peuple instruit ; alors que Montesquieu considère que c’est la vertu des citoyens, soutenue par des institutions rigoureuses, qui est la condition de la stabilité des démocraties.

Plus récemment, au 19ᵉ siècle, Abraham Lincoln a déclaré que la démocratie est “le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”. Cette définition fut ensuite reprise en France dans l’article 2 de la Constitution de 1958.

 

La démocratie, indissociable de l’État de droit ?

Le développement de l’État de droit a été un moment crucial dans l’évolution des démocraties, en particulier occidentales. Ce droit est censé assurer l’égalité des citoyens, mais son contrôle est établi en dehors de la souveraineté populaire.

Les États ont des dispositions différentes dans leur définition légale de la démocratie, mais comme leurs juridictions exigent l’application de ces dispositions, elles se doivent d’être précises. Ils s’accordent plus ou moins tous pour intégrer la coexistence de souveraineté du peuple par la décision majoritaire, et ce, à travers la représentation (élections) ou l’expression directe (référendum) dans leur Constitution (par exemple, selon l’article 20 de la loi fondamentale allemande “tout pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen d’élections et de votations”, et selon le président américain James Madison, “un gouvernement […] tire tous ses pouvoirs directement ou indirectement de la grande masse du peuple”. En matière, la démocratie est donc presque unilatéralement fondée sur un système de représentation, dans lesquels les élections sont gratuites pour tous à partir d’un certain âge, avec un mode de décision à la majorité, la séparation des pouvoirs et la défense des libertés fondamentales (liberté d’expression, traitement égal devant la loi…) par l’État.

Concernant le cas français, selon le Conseil constitutionnel, c’est la Constitution de 1958 qui consacre le principe démocratique. Cela est signifié textuellement par l’article 2 de la Constitution et l’article 6 de la DDHC, qui disent respectivement que le principe démocratique est le “gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple” et que “la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation”. Ces principes induisent l’idée que le peuple, en pratique, ne gère pas ses propres affaires, qui sont confiées à ses représentants. Ainsi, la démocratie n’est pas bornée à la seule souveraineté citoyenne puisque dans sa définition juridique figure le principe de représentation.

Néanmoins, la démocratie, au contraire de l’État de droit, n’est ni une notion figée ni un acquis définitif : aucune institution ne peut garantir sa survie. En démocratie, la sphère publique est indépendante du pouvoir et interroge le droit ; c’est un processus permanent de négociation.

L’État de droit, quant à lui, est aujourd’hui envisagé comme un soutien, voire un amplificateur de la démocratie. Il est toutefois important de préciser que l’État de droit précède la démocratie, et que, de fait, il n’est pas incompatible avec d’autres formes de régimes, y compris autoritaires (au 19ᵉ siècle, l’État de droit n’empêchait ni la domination coloniale, ni l’esclavagisme, ni le travail infantile).

 

Évolutions et défis de la démocratie

Selon les lieux et les époques, on assiste à des pratiques radicalement différentes du modèle athénien évoqué au début de cet article. En effet, la démocratie, en plus d’être pluriforme, revêt un caractère incertain qui ne devrait pas être sous-estimé, en particulier dans un contexte où la conviction de son bien-fondé s’estompe.

Les démocraties actuelles sont confrontées à de nouveaux défis, tels que la désunion des peuples, la montée des inégalités, la défiance des institutions, la désinformation et les crises sanitaires et écologiques ; tant de facteurs qui ont creusé un écart profond entre la société civile et la sphère politique, et ce, sans réelle défense. Les contours de la définition de la démocratie s’estompent ainsi au profit de doutes, de déceptions et de pertes d’espoir. De nombreuses tentatives pour intégrer ces défis à la définition de la démocratie se sont succédé, ce qui a entraîné l’apparition de termes tels que “e-démocratie”, “démocratie sanitaire”, ou “démocratie environnementale”, correspondant à l’idée que dès lors que l’on débat d’une chose publique, il y aurait démocratie. Ces tentatives témoignent d’une volonté profonde de garder des exigences pour la démocratie afin de pouvoir assurer sa longévité.

Être capable de répondre à ces deux enjeux, c’est-à-dire à la complexité de sa définition et à la défense de son modèle, convient d’attribuer un caractère polysémique à la démocratie. Plus qu’une forme de régime, elle correspondrait ainsi simultanément à des mécanismes de gouvernance, des cultures politiques propres, un agrégat de valeurs (égalité citoyenne, participation éclairée, etc.) et à un idéal de société. Cette notion d’idéal permet de comprendre le caractère perpétuellement insatisfaisant, car insatisfaisable, de la démocratie. C’est dans cette faille constante, selon le philosophe Bernard Manin, que la démocratie trouverait son moteur puisque cela lui permettrait “d’engendrer de la déception créatrice”1. Ainsi, si la démocratie est un idéal irréalisable, elle représente néanmoins un avenir qu’il tient aux citoyens de rendre crédible et souhaitable.

  1. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, 1995

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