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L’expérience participative de Porto Alegre


1988 – Le Parti des Travailleurs (Partido dos Trabalhadores, PT, classé centre gauche) remporte les élections municipales de Porto Alegre, au Brésil. Le pays sort de la dictature militaire et vient à peine d’adopter une nouvelle constitution dans laquelle il est écrit que “Tout pouvoir émane du peuple, qui l’exerce par l’intermédiaire de ses représentants élus, ou directement, selon les termes de la présente Constitution” (article 1er). 

La formule peut sembler banale tant on la voit érigée en pierre fondatrice de nos démocraties libérales représentatives. Raul Pont, maire de Porto Alegre de 1997 à 2000, souligne qu’elle est pourtant le point de départ pour la construction à partir de 1989 d’un nouvel outil de démocratie participative : le budget participatif, en portugais orçamento participativo (OP). 

Cette expérience politique d’un nouveau genre perdure encore aujourd’hui (sous une forme certes différente que les changements politiques et organisationnels ont rendu inévitable) et s’est diffusée à travers le monde. Bien qu’elle ne soit pas la première en son genre, elle est sans doute la plus remarquée : en 1996, l’Organisation des Nations Unies (ONU) récompense Porto Alegre et en fait ainsi un modèle international.

 

Mise en place

L’idée du budget participatif est simple : après identification de ses besoins, la population décide elle-même des priorités d’investissement des fonds municipaux. En plus d’ouvrir les instances décisionnaires aux populations ordinaires, le dispositif permet une transparence totale de l’allocation des fonds. Si son organisation effective a évolué au cours des seize années de gouvernance du PT, le principe reste le même : le territoire est divisé en secteurs qui se réunissent en assemblées ouvertes à tous et à toutes. Celles-ci élisent des représentants au mandat annuel chargés de rédiger les projets des habitants. Enfin, des conseillers régionaux et thématiques 1 élus siègent au Conseil du Budget Participatif (COP). Les propositions finales sont ensuite soumises au conseil municipal, seul détenteur d’un pouvoir décisionnaire réel. Dans les faits, elles sont systématiquement acceptées. 

En effet, lorsqu’il accède au pouvoir, le PT ne bénéficie d’aucune majorité au conseil municipal. En revanche, depuis le retour de la démocratie, les associations se sont organisées sous la bannière de l’Uniào de Associaçôes de Moradores de Porto Alegre (union des associations d’habitants), l’UAMPA. Son soutien au projet de budget participatif de l’exécutif est décisif à sa mise en place et à sa pérennité. Les décisions du COP s’appuient sur une légitimité issue à la fois du peuple et des associations que le conseil municipal, même aux mains de l’opposition, ne peut réfuter. 

Tel quel, le budget participatif n’est pas un substitut à la démocratie représentative en œuvre au Brésil mais plutôt son complément. Il se greffe à des instances déjà existantes et dépend d’elles. De plus, il ne concerne qu’environ 10% du budget municipal total : sans être négligeable, on est encore loin d’une gouvernance populaire totale. 

 

Succès et pérennisation

Le dispositif connaît un succès croissant : le nombre de participant(e)s augmente petit à petit jusqu’à dépasser 1% de la population totale de la ville. Si ce chiffre peut paraître dérisoire, il est selon les expert(e)s plus élevé que celui de la majorité des dispositifs de démocratie participative. Surtout, il permet à des populations d’ordinaire exclues du jeu politique classique de s’y impliquer : la participation atteint 7% dans certains quartiers populaires. Ces populations n’ont en général aucune formation préalable ni au débat démocratique ni aux problématiques abordées, ce à quoi la mairie pallie en fournissant un accompagnement technique important. Les classes défavorisées, éloignées des institutions, bénéficient ainsi d’un apprentissage citoyen.

Cela étant dit, “cette participation reste marquée par un biais lié au capital social ou scolaire : parmi les participants, ceux qui ont un niveau scolaire un peu plus élevé ou une participation un peu plus forte que la moyenne du public sont surreprésentés au sein des délégués élus pour les assemblées centrales” souligne le chercheur français David Garibay. De la même façon, les quartiers les plus pauvres restent exclus du dispositif, leurs habitant(e)s ne pouvant tout simplement pas en payer le coût en temps et en organisation. La chercheuse brésilienne Rebecca Abers posait déjà la question en 1998 : “jusqu’à quel point le processus privilégie-t-il les quartiers mieux organisés, au détriment d’autres peut-être plus nécessiteux mais moins organisés ?

Malgré tout, la population globale observe des effets réels et immédiats. Raul Pont déclare que, sur la période de gouvernance du PT, “les dépenses sociales (éducation, santé, assistance sociale et logements sociaux) ont été multipliées par cinq” et que “l’ensemble du budget en valeurs constantes, a quasi triplé (…) grâce à l’abolition des exonérations et des amnisties fiscales, du combat contre l’évasion fiscale et à une nouvelle politique fiscale plus juste fondée sur un impôt progressif”. Si son appartenance politique nous incite à considérer ce bilan avec prudence, les chercheurs et chercheuses ont tous et toutes souligné les avancées sociales attribuées à l’instauration du budget participatif. 

 

Déclin ?

En 2004, le PT perd le pouvoir, mais le budget participatif est si bien implanté qu’il est conservé par l’opposition, qui en avait d’ailleurs fait une promesse de campagne. Il est cependant petit à petit transformé pour donner de plus en plus de place à d’autres acteurs, notamment aux entreprises. Les jeux politiques classiques ainsi qu’une certaine monopolisation du pouvoir par quelques conseiller(e)s se remettent donc en place. Il est intéressant de constater que la seule instauration d’un budget participatif ne garantit aux citoyens et citoyennes plus de pouvoir décisionnel : restreint, il redevient un simple outil de consultation dont il est facile d’ignorer les recommandations. 

 

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Le dispositif s’est depuis essaimé, non seulement dans l’Etat de Rio Grande do Sul dont Porto Alegre est la capitale, mais également dans d’autres collectivités territoriales de l’ensemble du Brésil puis du monde entier. En 2001, Porto Alegre accueille différentes organisations altermondialistes pour le premier Forum social mondial et concentre l’attention médiatique. Après l’ONU, c’est au tour de la Banque mondiale de promouvoir le budget participatif et le sort ainsi de son ancrage à gauche pour en faire un outil trans-partisan. En France cependant, ce sont principalement des municipalités communistes qui l’ont appliqué, comme celle de Saint-Denis. S’il s’est avéré difficile – voire quasi impossible – de l’étendre à de plus larges territoires, et bien que son fonctionnement ne soit pas parfait, l’expérience participative de Porto Alegre montre qu’il est possible d’ouvrir une nouvelle voie entre représentation et participation. 

 

Cet article s’appuie sur les travaux suivants : 

  • Abers, Rebecca, et Georges Knaebel. 1998. « La participation populaire à Porto Alegre, au Brésil ». https://doi.org/10.3406/aru.1998.2196.
  • Dutrisac, Myrtô. 2003. « Porto Alegre : l’espoir d’une autre démocratie de Marion Gret et Yves Sintomer, Paris, Éditions La Découverte et Syros, 2002, 135 p. » Politique et Sociétés 22 (3): 219‑22. https://doi.org/10.7202/008862ar.
  • Garibay, David. 2015. « Vingt-cinq ans après Porto Alegre, où en est (l’étude de) la démocratie participative en Amérique latine ? » Participations 11 (1): 7‑52. https://doi.org/10.3917/parti.011.0007.
  • Langelier, Simon. 2011. « Que reste-t-il de l’expérience pionnière de Porto Alegre ? » Le Monde diplomatique. 1 octobre 2011. https://www.monde-diplomatique.fr/2011/10/A/21113.
  • Pont, Raul. 2007. « L’expérience de Porto Alegre ». Nouvelles FondationS 5 (1): 109‑13. https://doi.org/10.3917/nf.005.0109.
  • Porto De Oliveira, Osmany. 2010. « Chapitre 2. Le budget participatif : pourquoi le modèle de Porto Alegre ? » In Le transfert d’un modèle de démocratie participative : Paradiplomatie entre Porto Alegre et Saint-Denis, 61‑89. Chrysalides. Paris: Éditions de l’IHEAL. https://doi.org/10.4000/books.iheal.2671.
  1. Six forums thématiques : organisation de la ville et développement urbain ; circulation et transport ; santé et assistance sociale ; éducation, sports et loisirs ; culture ; développement économique, questions fiscales et tourisme (Le Monde Diplomatique, octobre 2011).

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