Le Référendum en Question


Depuis le Brexit (2016) et la démission du Premier ministre britannique David Cameron, la pratique du référendum est décriée en France par les médias, les politiques et certains citoyens.

Dans son article, Laurence Morel, après avoir examiné et déconstruit toutes les critiques adressées au référendum, établit les conditions d’un bon référendum selon elle.

Il est intéressant de noter que nombre des critiques recensées contre le référendum s’appliquent en réalité tout aussi bien, voire bien plus, au régime électif.

Selon l’auteur, l’usage du référendum -combiné avec le système électif- rapproche en réalité les citoyens de la politique.

Des critiques infondées

L’auteur commence par répondre aux principales critiques faites au référendum.

 

Des citoyens mal informés ?

On reproche tout d’abord au référendum de produire de mauvaises décisions. Pour beaucoup, les citoyens ne sont pas suffisamment compétents et informés pour prendre de bonnes décisions. Déjà, à l’époque de la Grèce antique, les sophistes affirmaient qu’un petit groupe savant était plus sage que des milliers d’ignorants. Aujourd’hui encore, certains estiment que les questions soumises à référendums sont trop complexes pour les citoyens ordinaires.

Pourtant rien ne prouve que des dirigeants surdiplômés soient des dirigeants qui prennent de bonnes décisions pour la communauté. James Surowiecki dans son ouvrage The Wisdom of Crowds défend même la thèse inverse. Selon lui, pour résoudre des problèmes de façon efficace et intelligente, il est préférable de faire appel à un groupe d’individus aux opinions diversifiées plutôt qu’à un expert.

 

Une menace pour les minorités ?

Les opposants imaginent souvent que le peuple est moins tolérant que ses élus ou ses juges et qu’il peut voter des lois qui mettent en péril les libertés des minorités.

En réalité, le régime électif n’est pas le règne de la majorité. John Matsusaka dans son ouvrage Let the people rule montre d’ailleurs que seulement 50% des décisions politiques dans les régimes électifs sont conformes à l’opinion de la majorité des citoyens. D’ailleurs les minorités, comme les catholiques en Suisse au XIXème siècle ou les minorités immigrés aux États-Unis, sont (ou ont été) massivement favorables au référendum d’initiative citoyenne.

 

Une aggravation des tensions politiques ?

Pour beaucoup, les référendums peuvent également accentuer les tensions. Comme l’a souligné Max Weber, le référendum ne favorise pas toujours le compromis. Laurence Morel prend d’ailleurs l’exemple du référendum belge de 1950 sur le retour du roi Léopold III, qui a formalisé le clivage entre ses partisans et ses opposants.

Cependant, on peut aussi estimer que les référendums ont une fonction cathartique. Certes, ils provoquent de nombreux débats, mais à l’issue de ces débats la population vote, et c’est une majorité de citoyens -plutôt qu’un gouvernement- qui finit par faire loi. Le référendum convoque souvent aux urnes des citoyens qui n’ont pas le sentiment d’être écoutés et ne peuvent s’exprimer que dans la rue.

 

Une faible participation ?

Les référendums peuvent aussi n’attirer que très peu d’électeurs, c’est une critique que l’on adresse souvent au référendum.

Pourtant lorsque l’on s’intéresse au référendum grec portant sur le renflouement de la dette ou au référendum sur l’avortement en Irlande, on constate que la participation électorale était particulièrement importante.

Plutôt que d’instaurer des quorums qui ne favorisent pas la participation (et la font baisser), Laurence Morel affirme que les référendums doivent porter sur des enjeux mobilisateurs. Plus une question est complexe, plus elle suscite l’indécision, qui elle-même génère l’abstention. Il faut donc poser des questions simples qui suscitent l’intérêt de l’ensemble de la population.

L’auteur souligne également l’importance des politiques, qui doivent faire campagne pour informer la population et favoriser le débat.

A noter cependant qu’en pratique, si on regarde par exemple la Suisse, les personnes concernées votent. Celles qui ne votent pas considèrent que le sujet ne les concernent pas. Est-ce que cela ne suffit pas ?

 

La volonté du peuple ?

Selon ses détracteurs, le référendum ne permet qu’une expression imparfaite de la volonté du peuple puisque les citoyens ne peuvent répondre que par oui ou par non à une question qui a été formulée par le Parlement ou l’exécutif.

Mais voter oui ou non à des mesures proposées par l’exécutif, n’est-ce pas ce que fait le Parlement tous les jours ? Et voter pour un candidat n’est-ce pas encore plus imparfait ?

 

Qu’est-ce qu’un bon référendum ?

L’auteur insiste sur la dernière critique concernant la difficulté de connaître la volonté du peuple lorsque celui-ci s’exprime par référendum et en donne les raisons invoquées :

– tout d’abord, les votants sont fortement influencés par des partis ou des leaders d’opinion.

– ensuite, le vote référendaire exprime rarement une réponse à la question posée. En France, par exemple lorsque l’exécutif organise un référendum, les Français ne vont pas voter pour ou contre la proposition de loi, ils vont voter pour ou contre la politique du gouvernement dans son ensemble.

– enfin, le référendum permet de choisir seulement entre deux propositions. En d’autres termes, si l’on vote non, cela signifie que l’on rejette la proposition sans pour autant pouvoir exprimer une éventuelle contre-proposition ou contre-mesure.

 

Un référendum d’initiative citoyenne (RIC)

Afin de lutter contre ces critiques, Laurence Morel préconise la mise en place d’un référendum à la Suisse (le référendum d’initiative citoyenne), sachant que, selon elle, la démocratie directe ne doit pas se substituer à la démocratie représentative : il faut que ces deux types de démocratie -comme en Suisse- se complètent. Il ne s’agit pas de mettre un terme au système représentatif, mais de consulter les citoyens de façon beaucoup plus régulière.

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L’auteur estime qu’il faut absolument instaurer des référendums d’initiatives citoyennes qui permettraient à des citoyens réunissant un nombre de signatures fixé par la loi de saisir la population par référendum sans que soit nécessaire l’accord du Parlement ou du président de la République.

En effet, lorsque les référendums sont organisés à l’initiative du peuple (contrairement au Brexit), les votants semblent plus ouverts, plus intéressés et sont moins influencés par les leaders politiques ou les partis.

Si le référendum n’est pas le seul moyen d’associer plus étroitement le citoyen aux institutions politiques, il est en revanche le seul outil qui permette véritablement de mobiliser les citoyens sur des sujets concrets. Par ailleurs, il a l’immense avantage d’avoir été testé dans de nombreux pays depuis plus de 100 ans.

 

« The democratic criticism of referendums: the majority and the true will of the people » par Laurence Morel (dir. Laurence Morel, Matt Qvortrup)

Laurence Morel est maître de conférences à l’Université de Lille et chercheuse associée au CEVIPOF de Sciences Po.


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