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Le Référendum en Question


Publié le 14 juillet 2021. Mis à jour 03 octobre 2024. 

« The democratic criticism of referendums: the majority and the true will of the people » par Laurence Morel, maîtresse de conférences à l’Université de Lille et chercheuse associée au CEVIPOF de Sciences Po.

Contribution à The Routledge Handbook to Referendums and Direct Democracy, 2018 (dir. Laurence Morel, Matt Qvortrup)

Depuis le Brexit en 2016 et la démission du Premier ministre britannique David Cameron, la pratique du référendum est décriée en France par les médias, les politiques et certains citoyens. Laurence Morel examine et déconstruit ces critiques, qui s’appliquent en réalité tout autant (voire plus) au système électif. Selon la chercheuse, l’intégration du référendum au régime représentatif rapprocherait les citoyens et citoyennes de la politique.

Des critiques infondées

 

     Des citoyens et citoyennes mal informé.es ?

Le peuple n’est pas compétent, insuffisamment informé ; si on lui donne la possibilité de s’exprimer, il prendra la mauvaise décision. Dans la Grèce antique déjà, des sophistes affirmaient qu’un petit groupe savant est plus sage que des milliers d’ignorants. Aujourd’hui encore, beaucoup estiment que les questions soumises à référendum sont trop complexe pour les citoyens et citoyennes ordinaires.

Pourtant, rien ne prouve que nos dirigeants prennent toujours les meilleures décisions. Dans son livre The Wisdom of Crowds, James Surowiecki soutient même le contraire : pour résoudre des problèmes de façon efficace et intelligente, il est préférable de faire appel à un groupe d’individus aux opinions diversifiés plutôt qu’à un expert.

     Une menace pour les minorités ?

Les détracteurs du référendum imaginent souvent que le peuple serait moins tolérant que ses élu.es, et que les lois qu’il voterait mettraient en péril les libertés des minorités. En réalité, celles-ci se montrent souvent très favorables au référendum, surtout d’initiative citoyenne, comme les catholiques suisses au XIXe siècle ou les communautés immigrées des Etats-Unis.

     Une aggravation des tensions politiques ?

Comme l’a souligné Max Weber, le référendum ne favorise pas toujours le compromis. En 1950, le référendum belge sur le retour du roi Léopold III a formalisé le clivage entre ses partisan.es et ses opposant.es.
Cependant, on peut aussi estimer que les référendums ont une fonction cathartique. A l’issue des débats, la population vote, et c’est la majorité qui finit par faire loi. Le référendum convoque également aux urnes celles et ceux qui n’ont pas le sentiment d’être écouté.es et ne peuvent s’exprimer que dans la rue. C’est donc un vote porteur d’une forte légitimité démocratique. 

Une faible participation ?

Certes, certains référendums n’arrivent pas à mobiliser suffisamment l’électorat. Mais d’autres ont vu un participation massive, comme le vote grec sur le renflouement de la dette, ou le référendum irlandais sur la légalisation de l’avortement.
Plutôt que d’imposer des quorums dont les effets particulièrement critiquables (voir notre article à ce sujet), Laurence Morel affirme que ce sont les enjeux qui mobiliseront plus ou moins la participation. Plus une question est complexe, plus elle suscitera l’indécision et donc l’abstention. Au contraire, des questions simples permettent d’attirer l’attention et l’intérêt de la population. La classe politicienne doit quant à elle faire campagne, afin d’informer et de favoriser le débat.
Enfin, il faut noter que souvent, les personnes qui se sentent concernées par la question votent, et celles qui ne se sentent pas concernées ne votent pas, comme en Suisse. Le résultat en perd-t-il en légitimité ?

La volonté du peuple ?

Le référendum ne permettrait pas l’expression de la volonté du peuple, puisque l’électorat ne peut répondre que par oui ou non à une question formulée par le Parlement ou l’exécutif.
En réalité, les décisions prises par les élu.es ne sont conformes que pour 50% à l’opinion majoritaire, comme l’a démontré John Matsusaka dans son ouvrage Let the people rule. Le système représentatif ne reflète pas plus que le référendum la « volonté du peuple », si tant est que celle-ci soit unique et indivisible. De plus, les Parlements votent chaque jour « oui » ou « non » à des mesures proposées par l’exécutif, et voter pour une personne ne parait pas plus légitime….

 

Difficultés réelles

Laurence Morel insiste sur la difficulté de connaître cette fameuse « volonté du peuple »  lorsque celui-ci s’exprime par référendum. Elle en donne trois raisons :

  • L’électorat est fortement influencé par les partis et leaders d’opinion ;
  • Le vote référendaire exprime rarement une seule question : en France par exemple, le référendum a valeur de vote plébiscitaire pour l’exécutif. L’électorat ne vote pas pour ou contre une loi, mais pour ou contre la politique du gouvernement dans son ensemble ;
  • Le référendum ne permet de choisir qu’entre deux propositions ; en votant « non », on rejette la mesure sans pouvoir exprimer une contre-proposition.

 

Le « bon » référendum : le référendum d’initiative citoyenne (RIC)

Afin de lutter contre ces critiques, Laurence Morel préconise la mise en place d’un référendum à la Suisse : le référendum d’initiative citoyenne. Celui-ci permet aux citoyens et citoyennes mobilisés de réunir des signatures afin de soumettre leur proposition au vote, sans que l’accord du Parlement ou de l’exécutif soit nécessaire. En effet, lorsque les référendums sont organisés à l’initiative du peuple (contrairement au Brexit pour n’en citer qu’un), les votants semblent plus ouverts, plus intéressés et sont moins influencés par les leaders politiques ou les partis.
Elle souligne cependant que la démocratie directe ne doit pas se substituer à la démocratie représentative. Ces deux systèmes se complètent et doivent cohabiter. Il ne s’agit pas de mettre un terme au système représentatif, mais de consulter les citoyens de façon beaucoup plus régulière.


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