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La démocratie participative


Publié le 31 janvier 2025. Par Cloé Lachaux. 

Les origines de la démocratie participative

À proprement parler, le père fondateur de la démocratie participative est Condorcet, chargé en 1793 de rédiger un projet de constitution en France. Dans cette constitution, il propose un système de participation, articulant des représentants élus et des territoires divisés en assemblées primaires au sein de départements et communes, avec la capacité pour les citoyens de s’exprimer directement sur la législation et la Constitution. Son projet est rejeté, toutefois l’idée perdurera : l’article 28 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) dit “qu’un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer la Constitution”, la première Constitution fédérale Suisse est soumise aux votes des citoyens dès 1848, et certains états des États-Unis tels que la Californie adoptent l’initiative process dès 1911.

Le terme de “démocratie participative” naît cependant aux États-Unis, au milieu des revendications des grands mouvements internationaux pour la défense des droits civiques, lors de la déclaration de Port Huron en 1962. Elle est pensée comme un moyen pour les citoyens d’agir directement sur le processus de décision des politiques publiques, et autant que faire se peut, avec l’intervention minimale d’élus ou des institutions.

La première expérience reconnue de démocratie participative a lieu à Porto Alegre au Brésil, de 1989 à 2004, avec l’adoption d’un budget participatif pour impliquer les citoyens dans les décisions et la priorité des dépenses publiques. Cette expérience a été largement réussie, puisque la participation est passée de 1000 à 30 000 personnes en seize ans, mais diffère sensiblement de la définition précédente. En effet, en pratique, l’État et les institutions dessinent toujours les contours de la participation citoyenne. La démocratie représentative est à la fois organisée et contrainte par la démocratie représentative.

 

Pourquoi la démocratie participative s’est-elle imposée comme une solution ?

À première vue, la démocratie participative, très souvent associée à la démocratie délibérative, apparaît comme un pléonasme. Elle traduit en fait à la fois l’insuffisance et l’impératif de participation des citoyens à la vie et à la fabrique d’action publique. En effet, en pratique l’action citoyenne est extrêmement limitée et généralement résumée à la participation ou à l’abstention lors des temps électoraux, alors même que les citoyens sont largement volontaires ou mobilisables. La démocratie participative s’est alors majoritairement imposée à travers des expériences de participation pour combler ces volontés qui manquent de moyens.

À proprement parler, la démocratie participative porte deux objectifs principaux : la distribution égale et juste de « pouvoirs » (égalité de ressources, d’accès aux informations, etc.) pour palier la distance entre la démocratie représentative et la réalité des conditions de vie des citoyens, et la participation politique pour les engager plus et mieux dans la vie en société. Ces postulats permettent aux associations, aux institutions et pouvoirs publics de renforcer la légitimité et le ciblage de l’action publique en prenant en compte les expériences et témoignages pluriels. À l’échelle citoyenne, cela permet aux citoyens de sortir de l’individualisme en favorisant une socialisation politique, la participation à la vie de la citoyenneté, et, paradoxalement, la revitalisation de la démocratie représentative, en étant en contact avec les élus et leur travail.

Malgré le fait que ces institutions soient les grands encadrants des projets participatifs, une frange des citoyens envisage ces nouvelles opportunités comme des moyens de contredire l’État et sa centralité. L’État, ses institutions et ses représentants sont, de fait, considérés comme les grands responsables de l’invisibilité et du mépris social, et, en conséquence, de nombreuses expériences participatives se caractérisent par la contestation de projets (en particulier d’urbanisme ou de logement) dont ils sont à l’initiative. Ainsi, un nouveau paradigme de l’action publique apparaît, avec de nouvelles échelles et structures de gouvernance qui questionnent l’autorité de l’État.

 

Les contours de la participation en France

À mesure que la démocratie représentative perd en légitimité et s’affaiblit, la démocratie participative gagne en force comme alternative viable. Dans un tel contexte, les exigences de démocratie participative se répandent, mais ne trouvent pas toujours de réponses convaincantes.

En France, les expériences nationales quasi extraordinaires de participation citoyenne, peu importe l’échelle, respectent toujours un cadre juridique et politique organisé par l’État. Concrètement, ces expériences de participation sont prégnantes à l’échelle locale, mais quasiment invisibles à l’échelle nationale. De fait, à ce jour, le pouvoir des citoyens vis-à-vis des institutions françaises1 est limité au référendum “classique”, au référendum d’initiative local après le succès d’une pétition, à la Question Prioritaire de Constitutionnalité2 et au Référendum d’Initiative Partagée (initiée par au moins ⅕ des parlementaires et soutenue par au moins un dixième des électeurs) ; des processus largement critiqués. Le référendum “classique”, par exemple, est exclusivement de l’initiative du président ou du Parlement, limité aux services publics et aux politiques économiques, sociales et environnementales, évité par l’utilisation de la procédure de l’article 89 de la Constitution (convocation du Parlement en congrès pour la soumission d’un projet de loi), et pas contraint d’être adopté malgré l’expression des citoyens. Il en est de même pour le référendum d’initiative locale ou le RIP, qui, quant à lui, n’a jamais été utilisé depuis son introduction dans la Constitution en 2008.

Les contours législatifs de la participation locale, en revanche, évoluent constamment depuis les années 1990. La loi Voynet de 1995 introduit les conseils de développement, composés de citoyens bénévoles et impliqués dans l’aménagement des territoires ; la Commission Nationale de débat public est créé en 1995 pour garantir le respect des procédures de participation citoyenne ; la loi sur la démocratie de proximité de 2002 permet la création de conseils de quartier pour les communes de 20000 à 80000 habitants ; l’adoption des budgets participatifs (implication des citoyens dans la contribution préalable, la consommation ou la vérification d’un pourcentage du budget des collectivités territoriales) se répand dès les années 2000… Le contrôle des institutions vis-à-vis de ces dispositions favorise un système de plus en plus hybride pour compléter les lacunes de la démocratie représentative avec la participation, néanmoins, le manque de moyens de participation à l’échelle nationale demeure une revendication croissante.

 

Les échelles de démocratie participative

Les échecs successifs des tentatives de démocratie participative3 à l’échelle nationale traduisent à la fois un manque de volonté et un manque de moyen pour organiser cette participation. C’est tout d’abord une question de remise en question de la légitimité des institutions qui est en jeu, seulement acceptable au niveau local et pas national. Il serait trop périlleux de reconnaître “la voix de la raison” comme émanant du peuple plutôt que du gouvernement. C’est aussi une question de difficulté de mise en place, puisque la Constitution française ne permet pas les modalités d’organisation de participation citoyenne massive, tels que les référendums d’initiatives citoyennes, etc. Enfin, assez paradoxalement, il s’agit d’une question de pertinence, puisqu’un échantillon de citoyens organisés en assemblée aurait moins de légitimité que des représentants élus pour élaborer ensemble des lois (à l’image des conseils de quartiers) à conséquences nationales.

Le succès des expériences de participation locale tiennent, quant à elles, aux notions de proximité inhérentes aux lois préalablement introduites. Ces lois sont tirées des enseignements des échecs politiques précédents et de la nécessité de revitalisation des collectivités, en particulier sur les questions de précarité socio-économique, d’aménagement, de développement durable et de modernisation, qui semblent être les préoccupations principales des habitants. La modernisation des territoires implique dès lors la modernisation de la gestion publique, d’où l’intégration de la participation et de la délibération lors des réflexions autour des politiques sociales et urbaines. “La politique de la ville” s’est ainsi renforcée, en particulier dans les domaines de l’environnement, d’éducation, etc. en intégrant des citoyens ordinaires dans les processus de gestion, de réflexion et de décision des institutions locales. Cette intégration est censée favoriser la légitimité des décisions prises, réengager les citoyens dans la politique et répondre à l’affaiblissement de la cohésion sociale dans ces territoires.

 

La démocratie participative au-delà de la France

Lorsque l’on parle de démocratie participative, le système Suisse représente le modèle emblématique. En effet, la participation citoyenne est prévue par la Constitution suisse depuis 1848, selon le postulat que les citoyens sont tout aussi compétents que les élus pour décider.

Elle se caractérise en particulier par le recours au référendum d’initiative populaire, grâce auquel seuls les citoyens sont à même de changer la Constitution. En dix-huit mois, les citoyens à l’initiative d’un référendum doivent récolter au minimum 100 000 signatures pour proposer une loi ou la modification d’une loi (y compris d’une loi constitutionnelle, qui implique un référendum obligatoire et pas facultatif). “L’activation” de cette proposition nécessite trois étapes successives : l’analyse de sa valeur légale, l’avis du Parlement et du conseil fédéral (favorable ou défavorable) puis la soumission au référendum national ou local. Le principe est identique au sein des cantons et dans certaines communes. Bien que la plupart du temps, ces initiatives soient rejetées, elles ont le mérite de vitaliser l’implication citoyenne et d’attirer l’attention du gouvernement sur certaines questions.

Il existe d’autres exemples, moins connus, de démocratie participative à travers le monde, au-delà de la pratique du RIP/RIC4. L’un des exemples les plus marquants de succès de la participation citoyenne est celui du canton de Santa Ana de Cotacachi en Équateur. Il s’agissait, dans le courant des années 2000, de gérer le budget municipal pour favoriser la diversité des participants, améliorer la transparence des choix budgétaires et développer la cohésion sociale des nouveaux acteurs. La préoccupation principale des participants aux dépenses de ces budgets étaient les populations autochtones et les femmes, largement marginalisées.

Pour ce faire, ils ont mis en place des groupes de travail pour revaloriser leur situation socio-économique souvent extrêmement précaire et pour les intégrer dans ce processus. Les femmes analphabètes participaient, par exemple, grâce à un dispositif de fruits et d’objets du quotidien selon leur forme et leur couleur pour favoriser leur compréhension. Grâce au ciblage des mesures, 65% de femmes parmi 1667 personnes ont pu apprendre à lire et à écrire dans les deux années suivantes de son application. Le canton de Cotacachi est ainsi devenu le premier canton sans illettrisme reconnu par les Nations Unies, et des améliorations significatives ont eu lieu concernant l’assainissement de l’eau, les conditions sanitaires ou encore la réduction à 0% de la mortalité infantile.

 

Les obstacles et critiques de la démocratie participative

Malgré des bonnes volontés et des investissements massifs dans les modalités de participation, la démocratie participative souffre autant de défauts structurels que d’application.

Selon l’écrivaine Sherry Arnstein, les limites de la participation citoyenne se résument en deux principes : la manipulation des citoyens avec une illusion de participation (c’est-à-dire un investissement inutile) et la coopération symbolique avec un rôle de consultation ou d’information plutôt que de décision. Ces écueils ne sont pas les seuls, et s’expliquent par des défauts structurels tels que l’échec à tirer des enseignements des expériences précédentes, et la concentration des services publics sur le format des dispositifs de participation citoyenne plutôt que sur leurs effets. De plus, ceux qui organisent les modalités de participation ne sont pas en capacité de produire des politiques publiques, ce qui entraîne un sentiment d’inutilité pour les organisateurs et de perte de confiance en la démocratie pour les participants.

Au niveau de la participation citoyenne, de nombreux obstacles favorisent la difficulté à galvaniser les masses. Le premier obstacle revient au manque de praticité d’un tel processus, à savoir au manque de temps et au coût de la participation que l’investissement implique. Le second obstacle tient au manque de représentation des citoyens dans les groupes de participation. Il s’agit souvent des citoyens avec des profils similaires, loin d’être marginaux, car ceux qui participent sont ceux qui votent, laissant en marge ceux qui ne sont ni représentés par les élus, ni par les mesures. À cela s’ajoutent des compétences oratoires inégales qui ne permettent pas aux citoyens présents de s’exprimer également. Enfin, c’est la récupération politique du travail fourni qui décourage les citoyens à participer.



Compléter ou supplanter la démocratie représentative

Les lacunes de la pratique participative, couplées à celles de la démocratie représentative, ont laissé le champ libre à une multitude de solutions. Elles sont toutes pensées comme un moyen de compléter ou supplanter la démocratie représentative.

Les critères régulièrement présentés comme indispensables à la mise en place d’une participation effective se regroupent en plusieurs thèmes : l’accompagnement, c’est-à-dire l’accès à des moyens matériels et humains tels que des conseillers et experts, l’inclusivité des profils, l’accès égal aux informations, des règles qui structurent le débat, et la participation à la fois à l’élaboration et à la décision. La délibération est un élément clé de ce dernier processus, car c’est à ce moment-là que la diversité de point de vue et l’intelligence collective opère et que la meilleure solution s’impose.

Voici un panel de quelques pistes prégnantes dans la littérature et la philosophie politique :

  • Le tirage au sort ou système de loterie : il s’agit de sortir du système représentatif au profit d’un système établi à partir de la sélection aléatoire et limitée de citoyens organisés en assemblée, conseillés par des experts et régulés par une autorité centrale. La diversité des opinions et des profils permettrait, selon ses partisans, des meilleures décisions, raisonnables et efficaces, concernant le bien public.
  • L’articulation entre la démocratie participative et délibérative : à toute échelle de gouvernance, un petit groupe de citoyens consulterait un grand groupe de citoyens concernés par la politique publique, puis délibèrerait. La décision prise lors de la délibération serait ensuite soumise au vote du grand groupe, et adoptée ou refusée selon les résultats de ces votes.
  • L’introduction de l’Initiative populaire décisionnelle nationale et locale (l’équivalent du RIC) : une assemblée de citoyens, conseillée par des professionnels (magistrats, etc.) proposerait une ébauche de loi dont la légalité serait vérifiée par un organe comparable au Conseil constitutionnel, puis renvoyée en réécriture ou acceptée. Le Parlement serait en mesure de modifier les propositions, soit avec l’accord des représentants de l’initiative, soit en proposant un contre-projet avant de les soumettre au vote des Français.
  • La mise en place de contre-pouvoirs (des formats d’expression citoyenne échappant aux dispositifs formels institutionnels) et des contre-expertises dans la fabrique des politiques publiques, afin de sortir du contrôle des institutions. Par exemple, les citoyens pourraient proposer des sujets de référendum par voie électronique, via une plateforme dédiée, en respectant les modalités des initiatives actuelles (contrainte de temps et de nombre de signatures).
  • L’introduction du vote justifié, c’est-à-dire pondéré selon un système d’appréciation. Lors d’élections, les candidats seraient classés par ordre de préférence, et lors de consultations citoyennes, les citoyens pourraient justifier (par des propositions à cocher ou à ajouter) leur décision. Cela serait ainsi plus pertinent pour élaborer de futures lois et politiques publiques.
  • L’intégration obligatoire de citoyens marginalisés (les absents sont souvent les plus précaires) dans les dispositifs locaux de participation citoyenne, suivant une logique de discrimination positive. L’idée est de cibler et prioriser ceux qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer pour enrichir le débat et réintégrer des franges marginalisées dans l’action collective. Cette priorisation serait momentanément faite au détriment de ceux qui ont l’habitude de cet exercice citoyen, afin de rééquilibrer autant que possible les voix du débat.
  • L’utilisation des médias et des nouvelles technologies pour faciliter les prises de décision. Les médias se chargeraient de rendre les informations accessibles pour les citoyens non membres des assemblées (modalités de participation, sujets abordés, etc.), et les nouvelles technologies pourraient permettre le vote en ligne.

Ces propositions sont non exhaustives, néanmoins elles reflètent toutes la volonté d’aboutir à une collaboration entre les citoyens – les experts du réel – les experts techniques et les experts politiques pour parvenir à des politiques publiques plus justes et proches de la volonté générale.

 

*

L’instauration d’une démocratie participative soulève des questions fondamentales quant à l’organisation et au fonctionnement de notre système politique. D’un côté, l’intégration de la souveraineté nationale et de la responsabilité citoyenne dans la Constitution semble indispensable pour asseoir la légitimité d’une telle démarche ; de l’autre, la concrétisation de cette démocratie participative ne peut se faire sans l’impulsion d’un gouvernement conscient des aspirations citoyennes et résolu à les concrétiser. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre la représentation, garante d’une expertise et d’une vision globale, et l’utopie d’une participation citoyenne directe et totale à chaque décision.

Toutefois, la question du pouvoir participatif comme « quatrième pouvoir » reste ouverte. Si son rôle devait se limiter à la consultation et à la proposition, il pourrait s’inscrire comme un complément aux pouvoirs existants. En revanche, s’il venait à détenir un pouvoir de décision exécutoire, il remettrait en cause la structure même de notre démocratie et nécessiterait une profonde réflexion sur les mécanismes de sa mise en œuvre et de son articulation avec les institutions actuelles.

En définitive, l’instauration d’une démocratie participative apparaît donc comme un processus complexe et exigeant ; elle soulève des questions fondamentales quant à la répartition du pouvoir, à la place du citoyen et à l’avenir de notre système démocratique. Néanmoins, si les défis sont nombreux, les alternatives offertes par cette évolution ne sauraient être négligées. La démocratie participative pourrait constituer une chance de revitaliser notre système politique, de le rendre plus inclusif, plus réactif et plus à l’écoute des aspirations citoyennes.

  1. Pour les pays membres de l’Union européenne, il existe l’Initiative Citoyenne Européenne, qui permet de soumettre une proposition de changement législatif à la Commission Européenne. Elle nécessite le soutien d’au moins un million de signataires de sept États membres différents).
  2. Processus qui permet à un citoyen de demander au Conseil constitutionnel de vérifier que la loi qui lui est appliquée, dans le cadre d’un procès, par exemple, respecte ses droits et libertés garantis par la Constitution. Cette vérification peut aboutir à l’abrogation d’une loi jusqu’alors en vigueur.
  3. Entre autres, les Conventions citoyennes pour la fin de vie (2022) et le climat (2019)
  4. Référendum d’Intitiative Populaire/ Référendum d’Initiative Citoyenne

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