Publié le 31 janvier 2025. Par Cloé Lachaux.
Cet article recense différentes pistes et solutions pensées pour tenter de résoudre la crise démocratique. Le propos des auteurs est résumé brièvement à travers plusieurs thèmes, allant de la nécessité d’aller voter au recours à des mesures anti-démocratiques.
Philosophie de la démocratie
Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe
L’école et l’université seraient complètement repensées pour former des citoyens actifs et critiques, capables de participer pleinement à la vie démocratique. La prise de décision serait collective et confiée à des assemblées citoyennes, inspirées du modèle athénien. Le pouvoir citoyen ne se limiterait ainsi plus au vote, mais s’étendrait à toute la réflexion autour des décisions.
Christopher Lasch
L’auteur plaide pour un réengagement citoyen dans la vie politique. Il propose de réformer l’éducation pour former des citoyens conscients des enjeux démocratiques ; de limiter le pouvoir des grandes entreprises et de l’État ; de revitaliser le débat public en créant des espaces où tous les citoyens peuvent s’exprimer et de sortir de l’individualisme au profit de la coopération.
Lyndsey Stonebridge
Lyndsey Stonebridge s’inspire des idées d’Hannah Arendt pour proposer une réflexion sur la politique contemporaine. Elle reprend l’idée qu’une véritable démocratie doit être ancrée dans l’engagement citoyen, dans l’amour, la tolérance et la lutte pour la liberté.
Psychologie de la démocratie
Harmut Rosa
Hartmut Rosa dresse un constat alarmant de notre société moderne, caractérisée par une croissance perpétuelle et une course effrénée sans réel but (“l’immobilité fulgurante”). Pour sortir de cette impasse, il propose de se tourner vers la religion, et plus particulièrement l’Église, dans laquelle il voit un potentiel pour nous aider à retrouver un sens à notre existence et à construire un avenir plus durable.
Erica Benner
L’autrice appelle à une vigilance constante et à une remise en question permanente des mécanismes démocratiques. Elle invite à une réflexion critique sur l’histoire et les enjeux actuels de la démocratie.
Gérald Bronner
L’objectif de Bronner est de transformer notre “démocratie des crédules” en une « démocratie de la connaissance » où les citoyens sont capables de distinguer le vrai du faux et de prendre des décisions éclairées. Il propose deux axes à investir : la réforme en profondeur du système éducatif et le développement individuel de notre esprit critique.
Christopher Achen et Larry Bartels
Les auteurs plaident pour une démocratie plus réaliste et plus équilibrée, fondée sur une meilleure compréhension des comportements politiques et des dynamiques de groupe qu’ils ont appelés “la théorie des groupes”. Cette théorie permettrait de mieux étudier les comportements politiques pour aboutir à des réformes plus efficaces.
David Manise
L’auteur propose de reconstruire la démocratie sur la base d’un dialogue plus ouvert, plus inclusif et plus respectueux en renouant la confiance entre citoyens et élus. Cela passerait par une plus grande implication des citoyens en politique, et en particulier de ceux qui sont marginalisés.
Renforcer l’État de droit
Jean-Éric Schoettl
Jean-Éric Schoettl pense que la souveraineté nationale est à la fois affaiblie par des traités internationaux incapacitants et par une jurisprudence nationale trop indépendante. Au nom de cette souveraineté nationale, il plaide, entre autres, en faveur de la modification de la Constitution pour limiter la primauté du droit international et du renforcement du pouvoir du gouvernement sur le système judiciaire.
Yascha Mounk
L’auteur envisage un État à la fois garant des droits fondamentaux et du multicommunautarisme, moteur de la croissance économique et protecteur sur le plan social.
Il pense qu’en démocratie, cet État doit être suffisamment fort pour protéger ses citoyens des menaces extérieures et intérieures, tout en étant suffisamment contraint pour ne pas empiéter sur leurs libertés individuelles.
Vote et abstention
Grégoire Cazcarra
Grégoire Cazcarra propose une refonte complète du système de vote pour renforcer la démocratie participative, améliorer la représentation politique et la confiance entre représentants et représentés.
Il s’agit de redonner du sens au vote, en facilitant ses modalités (avec, par exemple, le vote en ligne ou pas correspondance), en légitimant la pertinence de voter en démocratie et en multipliant les expériences de vote (référendums d’initiative citoyenne, budgets participatifs, vote obligatoire…).
Kim Wingerei
L’auteur est partisan de nouvelles formes d’élections pour les membres du Parlement. Il propose deux alternatives : le vote par ordre de préférence des candidats, à travers un classement des candidats qui ont fait le plus consensus sur un territoire, et le vote par un “grand électeur” (qui aurait réuni entre 5 000 et 100 000 voix au préalable) qui voterait pour son candidat favori tout en étant en mesure d’influencer ses décisions.
Jason Brennan
L’objectif de Brennan est de remplacer le système de vote actuel, car les citoyens ne seraient pas assez compétents pour voter. Il propose deux alternatives :
- le vote par rémunération : un quizz serait organisé avant le vote pour sélectionner les citoyens les plus informés, ce qui motiverait les citoyens à s’instruire pour participer aux élections suivantes.
- le “vote éclairé” : après avoir répondu à des questions “élémentaires” sur la politique, les réponses de tous seraient analysées pour simuler un vote où tout le monde serait bien informé. Cela permettrait de cibler les erreurs communes.
Réformer les partis politiques et les institutions
Kim Wingerei
L’auteur propose tout d’abord de renouveler le Parlement en diversifiant les profils professionnels des élus, en supprimant les privilèges des parlementaires et en remplaçant le Sénat par une nouvelle chambre plus représentative. Enfin, il suggère de réformer les partis politiques en les rendant plus transparents, en limitant leur pouvoir et en encourageant la diversité d’opinion en leur sein.
Erica Benner
Erica Benner propose de réformer en profondeur les institutions pour les rendre plus démocratiques et représentatives. Il s’agirait de diminuer l’influence des experts et donner plus de pouvoir aux citoyens ; de diversifier les profils au sein des institutions pour plus de représentation et de révoquer les élus et pour éviter les situations de monopoles et d’impunité.
Hélène Landemore
Hélène Landemore propose d’instaurer une “démocratie ouverte”. Elle propose trois formes d’élections : « la loterie aléatoire » (tirage au sort à échéance régulière) pour l’équivalent du Parlement, puis “l’auto-sélection” (le volontariat) et le “liquide” (représentation des citoyens par la délégation des votes d’autres citoyens) pour les assemblées “populaires”.
Ces assemblées fonctionneraient sur la base de délibérations, puis de votes pour l’option qui ferait le plus consensus (classement des propositions qui ont obtenu le plus de votes). La règle majoritaire serait alors utilisée en dernier recours.
Nation, partage du pouvoir, classes moyennes et populaires
Michael Lind
Michael Lind propose une nouvelle approche de la démocratie pour répondre aux préoccupations des citoyens qui se tournent vers les populismes.
Il propose de revaloriser la nation avec des politiques publiques moins contraintes par les intérêts internationaux et de largement décentraliser le pouvoir en créant des organes de décision au niveau des villes et des régions. Chaque citoyen serait éligible à ces organes de décision, ce qui favoriserait une plus grande implication et une meilleure représentation des intérêts locaux.
Christophe Guilluy
Christophe Guilluy prédit un retour aux conflits en raison des fractures sociales et culturelles engendrées par la mondialisation.
Selon lui, les classes populaires, reléguées au second plan, ressentent un profond sentiment d’injustice. Il suggère alors de minimiser les contacts entre les différentes communautés pour éviter les conflits ; d’imposer les valeurs des classes populaires à l’ensemble de la société ; de donner plus de pouvoir aux collectivités locales pour mieux répondre aux besoins des populations périphériques et enfin d’étendre les aides sociales aux populations précaires en dehors des banlieues.
Inclusivité et lien social
Yascha Mounk
Yascha Mounk propose une refonte de la société démocratique pour favoriser l’unité et le vivre-ensemble. Dans un premier temps, il suggère d’envisager la société comme un « parc public » où chacun a sa place et où les différents groupes sociaux interagissent librement. Cette liberté nécessite à la fois de tenir compte des inégalités passées et présentes et de cultiver un patriotisme sain pour prévenir les nationalismes excessifs.
Hélène Landemore et l’intelligence collective
Pour Hélène Landemore, le nombre fait la force d’un groupe grâce à la diversité cognitive des citoyens. La délibération inclusive serait alors le meilleur modèle pour résoudre des problèmes en démocratie par la capacité des membres à recourir à large éventail de référentiels, d’idées, d’informations et d’interprétation.
Albert Ogien et Sandra Laugier
Les deux auteurs sont partisans d’un système qu’ils ont appelé « le principe démocratie », pour placer la politique aux mains des citoyens “ordinaires”. Ce changement serait néanmoins propre à l’impulsion des élites qui possèdent les moyens d’inverser la tendance “technicienne” de la démocratie.
David Djaiz
Il imagine la slow démocratie, un modèle fondé sur l’intégration des citoyens dans les processus d’élaboration ET de mise en œuvre des politiques publiques. Dans ce modèle, l’État est central et assure l’équité territoriale, la mise en valeur du travail local et une unité nationale (mixité sociale, soutien intergénérationnel, écologie…).
Démocratie participative
Manon Loisel et Nicolas Rio
Les auteurs plaident pour une réforme en profondeur de la démocratie représentative pour que les citoyens se sentent impliqués dans les décisions qui les concernent.
À cet égard, ils pensent qu’il est inévitable de transformer les institutions actuelles en y intégrant des mécanismes de contre-pouvoir (audition de citoyens) et en privilégiant la délibération collective sur la décision unilatérale. Cette transformation nécessite une redéfinition du rôle des représentants comme “intermédiaires” en redistribuant le pouvoir et en donnant la parole aux « inaudibles ».
Patrick Norynberg
Patrick Norynberg souhaite créer un réseau national de démocratie participative en partant du niveau local. Il propose d’instaurer des « villes des habitants » où tous les citoyens (y compris les résidents étrangers et les personnes sans papiers) seraient pleinement impliqués dans la vie politique. Ainsi, les citoyens, au même titre que les collectivités, seraient en mesure de proposer des lois et de participer à la conception et à l’évaluation des politiques publiques.
Délibérer en démocratie
Hélène Landemore
En partant de ses propres recherches sur les bienfaits de l’intelligence collective, des diversités cognitives et des capacités de déduction dans les prises de décision, Hélène Landemore assure que les citoyens “ordinaires” sont assez compétents pour décider des lois et politiques publiques.
Elle présente ainsi la délibération comme un processus essentiel en démocratie, garant d’une meilleure représentation et de meilleures décisions.
Démocratie directe
Hélène Landemore
- Droit de pétition (on impose un sujet au Parlement)
- Droit de vote sur les changements constitutionnels
- Initiative de vétos
- Initiative de lois
- Vote sur les traités long
L’autrice élabore un modèle qu’elle appelle la « démocratie ouverte ». Ce modèle se caractérise par le maintien de la séparation des pouvoirs, avec le pouvoir législatif entre les mains des citoyens, aidés de spécialistes (avocats, juristes, etc.). Concrètement, les citoyens pourraient soit intégrer une “chambre des citoyens” (à valeur institutionnelle et intégrable pas tirage au sort), soit intégrer des assemblées citoyennes pour s’exprimer, délibérer et voter des lois.
Les citoyens non-sélectionnés pourraient aussi être à l’initiative de lois selon le même principe que les référendums d’initiative citoyenne, c’est-à-dire selon un nombre de signatures.
Simon Gregory
L’auteur imagine remettre au goût du jour des assemblées citoyennes tirées au sort et créer des forums numériques de participation (votes, signatures de projets de lois, etc.). Le pouvoir serait également décentralisé, transféré aux collectivités locales, avec une plus grande autonomie pour les “cantons”.
Enfin, l’éducation civique serait largement investie en faveur de ce modèle afin de promouvoir l’importance de s’intéresser et de s’engager dans la vie politique dès le plus jeune âge.
Alexander Valiensi Kent
L’auteur propose un modèle de démocratie directe où chaque citoyen aurait un poids égal dans les décisions politiques, et ce à tous les niveaux de gouvernance. Concrètement, les citoyens disposeraient d’outils tels que les référendums d’initiatives populaires, mais aussi d’un “réseau de démocratie directe” (une plateforme en ligne d’informations continues) pour débattre, proposer des lois et voter. Les élus conserveraient un rôle important pour mettre en œuvre les décisions prises par les citoyens, mais leur pouvoir serait limité.
Référendum d’Initiative Citoyenne
Danièle Favari
L’autrice a imaginé les modalités du RIC en France.
Au niveau juridique :
- la Constitution serait modifiée pour ancrer le RIC dans le droit français ;
- la proposition de loi serait initiée par des électeurs Français qui formeraient un comité de citoyens ;
- le comité élaborerait la base juridique de la proposition, puis la transmettrait à une chambre référendaire (dont les membres seraient tirés au sort, mais aidés de spécialistes) pour sa rédaction définitive ;
- la proposition ne traiterait ni des droits fondamentaux, ni de conquis sociaux ;
- la conformité de la proposition (libellé, bien fondé, etc.) serait vérifiée par le Conseil constitutionnel ;
- en cas de non conformité, la chambre référendaire disposerait d’un délai de un mois pour la modifier.
Au niveau pratique :
- la proposition nécessiterait au moins 700 000 signatures pour être soumise à un vote des Français ;
- il y aurait un délai de plusieurs mois après l’obtention des signatures pour amender la proposition ;
- une fois le référendum voté (question unique, claire et binaire), la proposition serait adoptée à la majorité simple ou relative (plus de 50% des inscrits) ;
- si la proposition est adoptée, elle pourra faire l’objet d’un veto initié par une majorité d’électeurs ;
- si la proposition n’est pas adoptée, toute proposition similaire durant les deux années consécutives au vote seraient caduques.
Sortir de la démocratie pour une meilleure démocratie
Jason Brennan
Selon Jason Brennan, la crise de la démocratie nécessiterait de piocher dans des mesures anti-démocratiques.
Il propose ainsi de réduire la sphère politique et la sphère de contrôle pour en exclure les citoyens, jugés ignorants, incompétents et irrationnels. La prise de décisions reviendrait dès lors aux “meilleures institutions” (dont l’éthique serait assurée par un comité indépendant) qui prendraient les “meilleures décisions” au nom des “meilleurs intérêts”.